Édition 2022

La légende d’Akta de Mathilde Legrand

Chers lecteurs, chers futurs étudiants du master, c’est avec une grande joie que nous vous présentons aujourd’hui la nouvelle qui a remporté notre concours du salon du livre 2022 ! Son autrice, Mathilde Legrand, est elle-même une étudiante du master qui s’est dévoilée le jour de la remise des prix. Elle avait transmis sa participation de manière complètement anonyme pour ne pas influencer le jury. Félicitations à elle, c’est amplement mérité. Découvrez sa nouvelle sur le thème des mythes et légendes, ainsi que la très belle illustration qui l’accompagne. Bonne lecture !



Avoir l’impression de comprendre l’incompréhensible est un sentiment quotidien, comme si mon cerveau  n’était pas calibré sur la bonne fréquence. J’entends, je parle et je pense comme tout le monde mais au fond de moi se cache une part d’inconnu, une voix cachée qui me parle comme un vieux disque rayé où les paroles sont incompréhensibles. Depuis 25 ans cette voix pleine de nostalgie d’un passé oublié m’appelle et me guide, inconsciemment. Née d’une famille d’archéologues et d’aventuriers, je cherche à savoir ce qu’il manque à mon existence, je cherche la solution à l’énigme qu’est ma vie. 

Depuis mon diplôme je travaille avec mes parents sur leurs nombreux projets. Le dernier en date concerne la légende d’Akta. Il y a quelques mois, sur mon intuition, nous sommes allés au Yucatán, terre maya pour effectuer des fouilles. Nous y avons découvert un temple sous terre encore jamais exploré. Depuis, nous travaillons sur ce temple et ses nouvelles légendes. Ce que je n’ai pas dit à mes parents, c’est que cette intuition m’est venue d’un rêve. Dans cet étrange rêve j’étais dans ce temple, sur le trône, entourée de mes sujets et vêtue de mes plus beaux apparats. J’avais cette impression de déjà vu, cette sensation d’être à ma place. Ce qui fut également très étrange, c’est que cette voix lointaine s’était rapprochée, elle était plus claire, plus compréhensible et j’avais le sentiment de pouvoir la comprendre. Lorsque je suis retournée dans ce temple, toutes les sensations vécues dans mon rêve sont revenues. Dans le brouillard de mon existence, j’ai entr’aperçu la lumière. 

Sur place nous avons trouvé quelques objets et écrits du peuple ayant vécu là. Je m’évertue à traduire ces écrits, souvent incomplets, tandis que mes parents décryptent les inscriptions et dessins peints sur les murs. Assise à mon bureau de transcription, je reporte mon attention sur le bout de papier. 

« Akta maskem  

Akta maskem revenbart nedom le hav, 

la pater vo tresoro ulta. 

Passem al legenda a vostru volkru, 

beden al riktru »  

Cette langue inconnue me paraît familière. Comme un souvenir effacé par le temps je m’évertue à en recoller les morceaux. Les liens de ce mystère se font et se défont, les ossements de ma mémoire tentent de se recoller pour reformer l’être à part entière qu’elle était, sans succès. Des maux de tête commencent à poindre. Une pause. J’ai besoin d’une pause. Je descends à la cuisine. Voilà une journée entière que je suis sur ce papier et je n’ai toujours pas avancé d’un iota. Je prépare mon café. Ce mystère commence à me rendre dingue. Je prends ma tasse et me dirige vers le jardin. Je suis fatiguée d’avoir l’impression de n’être qu’une moitié d’être. Fatiguée de me sentir comme amnésique. Je ferme les yeux, savourant les rayons de soleil sur ma peau. Je tente de mettre mes pensées sur pause, mais ça aussi sans succès. Les phrases de cette  langue oubliée tournent sans arrêt dans ma tête. Une impression me vient, la voix lointaine tente de m’aider. Non. Impossible. C’est officiel, je deviens folle. Je me concentre ailleurs mais cette impression ne me quitte  pas. Je m’efforce de comprendre ce qu’elle me dit. Soudain, comme une ampoule qui s’éclaire, je comprends. Je remonte à toute vitesse pour m’installer à mon bureau. Crayon à la main, je traduis.  

« Le masque d’Akta 

Le masque d’Akta révèle à quiconque le possède,  

 la voie vers le trésor ultime.

Prenez garde aux légendes de notre peuple, 

car tout est vrai. »  

J’adresse un bref merci à la voix et me rue dans les bureaux de mes parents pour leur montrer mon avancée.

– Intéressant, commence mon père, comment as-tu trouvé ça ? 

– Je, je ne sais pas, l’instinct ? répondis-je.  

Il est hors de question que j’avoue qu’une voix m’a aidée, comment pourrait-il y croire si même moi je peine à l’accepter ?  

– Regarde, il parle d’un masque. Où est la photo du mur où est représenté un masque scintillant ? ajoute ma  mère.  

– Ici, répond mon père.  

Les deux se penchent sur ce cliché, attentifs aux détails et plongés dans la photographie, ils examinent les  pictogrammes. Au cœur de cette pièce aux murs recouverts de livres en tout genre et en différentes langues, le silence est maître. Accoudée sur la table, j’attends qu’ils me révèlent leur découverte. 

– Tu vois ce que je vois ? commence ma mère.  

– Oui, effectivement. On voit clairement un masque, on dirait qu’il est précieux comme adulé. Tu ne trouves pas ? rétorque mon père.  

– Ça tient la route et ça corrèle avec ce que dit l’écrit, ajoute ma mère.  

Ils me montrent enfin la photographie. Sur ce long mur trône un masque de couleur or scintillant, il est  encerclé de trait en or également comme si ce dernier rayonnait littéralement telle une source de lumière. Un homme apparaît à côté de ce masque. Il est taillé à l’instar d’un dieu grec : tout en puissance. Sur le  pictogramme suivant ce même homme porte le masque. Il ressemble à un vrai dieu. 

– Ce doit être Akta, dis-je.  

Mes parents me regardent et acquiescent. Ils replongent dans l’étude de ce cliché. Me sentant de trop je  décide de retourner dans mon bureau.  

Akta

Akta était un Dieu roi, à l’origine mortel, il est parvenu à s’élever au rang de divinité. Il a choisi son nom en remerciement à son peuple, les Aktanes afin de ne jamais oublier d’où il vient. La légende raconte que ce roi était aimé de tous, il protégeait ses sujets, les traitait avec respect et compassion. Puissant même lorsqu’il  était mortel, aucun autre roi n’a osé l’affronter : il était l’incarnation même du respect. Or, ce roi tout puissant attira les convoitises et bon nombre de seigneurs souhaitant également le rang divin tentèrent de renverser le Dieu roi. Kakia, le dieu de la Malice et de la nuit, profita de cette jalousie pour attenter à la vie d’Akta. Mais Zenia, sa rivale, déesse du soleil et du savoir, s’interposa entre Kakia et ses plans. Elle fit don à Akta d’un mystérieux objet, un masque doré, afin de le protéger de Kakia. Voilà tout ce qu’on sait de l’histoire du Dieu roi à présent. Quant à l’objet, il reste encore mystérieux.  

Je me concentre à nouveau sur les écrits.  

« Ali Reinka puee trovar tresoro velor »  

« Seule la Réincarnation d’Akta peut retrouver le trésor perdu »  

« Ana e clevi »  

« Elle est la clé »  

« Al prophe riben, giova femi volkru diste, era nostru memi »  

« Telle que la prophétie l’a écrite, la jeune femme d’un peuple lointain, sera notre mémoire »  

Cette fois-ci, la traduction m’est venue instinctivement. Intriguée, je retourne une nouvelle fois dans le  bureau de mes parents. 

– Ça parle d’une prophétie : une femme étant la réincarnation d’Akta retrouvera le trésor perdu, portera la  mémoire des Aktanes et sera la clé. Mais la clé de quoi ? dis-je en entrant dans le bureau.  

– Hmhm, cette histoire devient de plus en plus passionnante, ajoute ma mère.  

– Je pense qu’on devrait retourner sur place, non ? Avec toutes ces nouvelles informations, on pourrait y  voir de nouvelles choses, rétorque mon père.  

Ni une ni deux nous partons faire nos valises pour retourner au Yucatán. Durant tout le trajet, je ne peux  m’arrêter de penser à la légende d’Akta, à tout ce qu’il reste à découvrir, à ce mystérieux trésor à trouver et à  ce lien que je ressens sans cesse. Dans la jeep qui nous amène au temple, je contemple le paysage. Je pense à la mythologie Maya et me demande si Akta a côtoyé les Dieux maya ou s’il était plus ancien qu’eux. Plus nous avalons les kilomètres et plus je sens ce lien se resserrer pour ne faire plus qu’un. Nous sommes arrivés. La voiture s’arrête. Je descends de la voiture et fait face à la grotte. Home sweet home. Voilà ce que je ressens. Je suis à la maison. 

La construction de ce palais est incroyable, l’entrée est d’abord souterraine sur plusieurs mètres, puis nous entrons dans un énorme gouffre à ciel ouvert, avec le palais sculpté sur un des flancs. Il est cerné de petites constructions en tout genre, l’endroit ressemble à un village. Nous commençons l’exploration du temple, à nouveau, mais cette fois-ci en nous séparant pour couvrir plus de terrain. En rentrant dans le temple cette sensation de familiarité me prend à nouveau. J’inspire un instant, laissant l’air entrer pleinement dans mes poumons. Je contemple les fresques murales une nouvelle fois. Maintenant que nous en savons plus sur l’histoire d’Akta et de son peuple, les peintures ont plus de sens, plus de subtilités et peut-être pourrions nous trouver de nouveaux éléments sur l’histoire du Dieu roi. La légende d’Akta me fascine et l’idée d’en savoir plus sur son histoire m’excite. Guidée par la voix qui est plus claire et plus présente en ces lieux, je me dirige à droite. Sur ce côté, un long couloir s’offre à moi. Je m’y engouffre et inspecte les peintures. Ces murs relatent l’histoire du masque. On y voit la déesse Zenia donner le masque à Akta. Déjà devenu immortel, ce masque renforça ses pouvoirs. Les peintures semblent montrer que l’objet recelait toutes sortes de sortilèges et permettait à son acquéreur de les utiliser à l’infini. Sur un pictogramme, Akta guérit un peuple, sur un autre il sculpte un lac pour un village isolé, sur un dernier il affronte un homme, probablement Kakia, si je me fie à sa représentation. Je continue ma route, une première entrée me fait face sur ma gauche. Je m’y engouffre aidée de ma lampe torche. Les murs de cette salle sont vides comparés au reste du temple, ils sont  peints d’une couleur unie avec pour seule décoration des symboles sur le haut du mur. Au centre de la salle trône un autel en pierre, décoré lui aussi de symboles et de lignes. Instinctivement, je passe mes doigts sur la pierre, je ressens comme une énergie. Sur le dessus, un creux est visible, bizarre ça ressemble à un masque. Serait-ce une salle dédiée au masque, comme pour lui rendre hommage ? Je longe les murs passant ma main  sur la surface froide, m’imprégnant de l’énergie de cette pièce. La présence dans mon esprit se fait plus forte lorsque que je passe ce mur en particulier. Je sens également une attraction, quelque chose m’appelle derrière cette pierre. J’avance de quelques pas et découvre une petite fente, rectiligne, qui s’arrête à mi-hauteur. Je suis cette ligne aidée de ma lampe et découvre qu’elle a la découpe d’une porte. On dirait un passage secret. À force d’aventures et d’archéologies, je sais que ce genre de porte secrète est courante dans les temples. Il suffit de faire pression au centre pour déclencher un mécanisme, ce que je tente, sans succès. La plaque de pression doit se trouver ailleurs. Je recule afin de mieux voir la porte. Je sais que c’est une ouverture, je le sens. De part et d’autre de la porte se trouvent des symboles, de même nature que ceux sur l’autel. J’étudie  chaque symbole et leur emplacement. Par peur de déclencher un mécanisme de défense, j’évite d’appuyer sur chaque plaque et prends mon temps. En regardant les symboles, un m’attire en particulier, ce n’est pas celui  du masque qui paraît être l’option évidente mais celui d’une main. Je m’avance vers le symbole et appuie. Un clic métallique se fait entendre. Dans un souffle puissant et un bruit assourdissant, la porte s’ouvre. Prudemment, je pars explorer. Face à la découverte de cette nouvelle pièce je reste abasourdie : les peintures autour de ce tombeau sont incroyables, d’une précision à couper le souffle et des couleurs à en faire pâlir la nature. La pièce est extrêmement bien conservée et la sensation d’être la première à la découvrir se fait ressentir. Je tourne ma tête vers le mur et examine les dessins qui y trônent. Ces fresques relatent l’histoire d’Akta, son accession au trône, son changement en Dieu, son règne prospère, puis sa chute. En tournant la  tête vers la droite une étrange sensation me vient, comme une boule au ventre. J’examine la peinture. Une  femme, brune, se tient devant le tombeau, exactement comme je le fais. Elle regarde à l’intérieur du  tombeau, puis, tout s’illumine : je comprends. Il s’agit de la réincarnation d’Akta, celle dont parle les écrits. Je plisse les yeux, étrange, la fille me ressemble. La peinture représente une femme brune, vêtue d’une chemise blanche, d’un short bleu et porte des bracelets au même poignet que moi, ma jumelle. Les détails sont surprenants, si bien que j’arrive à apercevoir sur cette peinture le tatouage présent sur ma jambe gauche,  ils sont identiques. Soudain le brouillard de mon esprit se dissipe, une part perdue de moi semble se recoller et je comprends. Moi, c’est moi, la réincarnation d’Akta. 


Crédits : Mathilde Legrand

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